… où plutôt ensemble. Caroline et Stéphanie (*) ont eu deux garçons, que la première a portés (avec l’aide d’un donneur) et la seconde adoptés. Pour Femmes en Bourgogne, le premier couple homo à faire ce choix en Côte-d’Or a accepté de se raconter, alors que son deuxième enfant vient tout juste de voir le jour. Entretien bercé de rires enfantins.
“Mince, ça vous dérange si je le change ?” Ben non, encore heureux. Ainsi va la vie d’une maman, qu’elle aime un papa… ou une autre maman. Pour certaines, le chemin vers la parentalité est un peu plus long. Caroline et Stéphanie en ont fait l’expérience. Pour faire court : une rencontre il y a sept ans (« je venais d’arriver sur Dijon, je signais mon CDI et le soir-même j’allais en boîte pour fêter ça… et rencontrer ma femme », explique Stéphanie, tout sourire) ; la maison, le mariage un beau jour de 2014. Le désir de maternité ne sera que la suite logique de leur histoire. En caressant amoureusement leur petite tête blonde sortie il y a quelques semaines, les mamans parlent d’une seule voix : « Quelque chose aurait manqué dans ma vie si je n’avais pas eu d’enfant. »
Des mois de démarches
Dans le cas d’un couple lesbien, une des deux n’est pas la génitrice. Dit comme ça, c’est évident. Mais cela suppose bien des démarches pour être reconnue en tant que mère. Stéphanie a dû passer par là : l’adoption de son premier enfant, en attendant un bis repetita pour le second. Elle raconte ses tracas (« tant que je ne l’avais pas fait, je n’étais pas sereine ») et les mois de démarches pour obtenir un bout de papier officiel du tribunal. « Caroline a dû faire une déclaration de consentement à l’adoption auprès d’un notaire. C’est donc à un notaire de juger de mes capacités à élever un enfant… Puis, j’ai aussi dû fournir une vingtaine de lettres de proches pour justifier cette demande. » On comprend la gêne de devoir montrer patte blanche, « comme s’il y avait un soupçon, alors qu’on se sent tout à fait légitime. » D’autant que sur le sujet, la France est un peu en retard. En Belgique, une loi entrée en vigueur en 2015 a rendu automatique le lien de filiation de la co-parente (en cas de mariage). Mais là n’est pas le plus important pour les deux femmes. Après tout, que pèsent 36 photocopies ou dix rendez-vous face à la joie d’être maman ?
« Un peu cons »
Le plus dur reste en effet « ces propos homophobes du quotidien ». Rien de nouveau sous le soleil. Être homo en France en 2017 est encore un problème pour certains. « Nous n’avons jamais subi directement une attaque, reprend Stéphanie, mais nous voyons bien que c’est encore ancré dans la société. Il n’y a qu’à voir les débats enflammés à chaque proposition de loi ou manifestation. » Du banal « j’suis pas un pédé » aux blagues franchement douteuses. Caroline y voit une raison toute simple. « Les gens sont un peu cons, en fait. C’est la même chose avec les blagues racistes ou xénophobes. Je dis souvent, pour rigoler, qu’heureusement que je ne suis pas tombée amoureuse d’une nana black. » Voilà qui légitime ce désir d’anonymat, surtout au niveau professionnel. Notre duo de mamans accepte de témoigner « pour aider celles et ceux qui sont dans la même situation et se poseraient des questions ». Elles entendent vivre leur sexualité de manière simple, sans revendication particulière si ce n’est celle de vivre tranquillement. La loi les a un peu aidées. Entre deux bisous à leur nouveau-né, elles reconnaissent qu’elles sont « nées à la bonne époque et dans un pays de droits ». Il y a pourtant encore tant à faire dans un pays qui a considéré l’homosexualité comme une pathologie psychiatrique jusqu’en… 1992 (en 1973 aux États-Unis).
L’essentiel : être à deux
Dans quel contexte leurs enfants vont-ils grandir ? Les deux Dijonnaises se sont déjà posé cent fois la question. Elles préparent l’aîné avec psychologie. « On lui explique qu’il existe dans la plupart des cas un papa et une maman. Il faut qu’il en ait conscience, car il sera papa un jour. Les livres aident beaucoup aussi. Mais à ses yeux, notre couple est absolument naturel, il ne se pose aucune question pour l’instant. » Stéphanie met des mots sur l’essentiel : « Le plus important, c’est d’être à deux pour son équilibre et pouvoir se passer le relais en tant que parents. » Sans jamais revendiquer être de meilleures mamans que les autres (un enfant n’a-t-il pas de toute façon « la meilleure des mamans » ?), le duo explique aussi que l’homoparentalité implique une autre réflexion. Stéphanie résume la chose de manière amusante : « Pour un couple homo, avoir un enfant, ce n’est pas un accident de pilule ! » C’est au contraire un projet qu’il faut construire en prenant le temps de se renseigner, de consulter la loi et des avocats, d’aller au bout de ses désirs, de casser quelques barrières…
De fait, « on se pose énormément de questions sur la construction de l’enfant et on peut anticiper beaucoup de choses. Par exemple, le comportement de ses futurs camarades. Il y aura forcément des réflexions. On veut donner à nos deux garçons toutes les clés pour qu’ils soient en harmonie avec leur particularité et qu’ils aient assez de répartie. » En clair, blinder son protégé, sans pour autant lui rabâcher à longueur de journée un pamphlet sur l’homoparentalité et la violence de ce monde. Peut-être qu’un jour, il n’y aura plus besoin de toutes ces précautions. Caroline et Stéphanie n’y croient pas trop. Et sont ramenées par leur urgence du moment : « Il a pris son biberon ? » Et Caroline de répondre qu’il vaut mieux « attendre encore 30 minutes. Il faut qu’il mange à intervalles réguliers, le loulou ». Ainsi va la vie des mamans.
(*) Les prénoms ont été modifiés