C’est l’histoire d’un couple de Dijonnais qui se bat depuis trois ans pour obtenir justice après la naissance de leur fils handicapé. D’après eux et un rapport d’experts d’une quarantaine de pages, cette situation serait due à plusieurs erreurs médicales et un mauvais suivi à la maternité de la part du CHU de Dijon. Témoignage.
« Ça devait être le plus beau jour de ma vie, ça a finalement été le pire. » Bientôt trois ans après les faits, c’est encore avec le cœur lourd, mais aussi avec beaucoup de recul, qu’Andréa Richard aborde cette date du 29 juillet 2019. Le jour de la naissance de son fils, Samuel. Le premier jour de son combat, aussi, avec son mari Maxime Campal. Ce jeune couple de Dijonnais se bat pour faire reconnaître les erreurs médicales qui auraient été commises par le CHU de Dijon. Un manque d’écoute et de suivi à la maternité après une grossesse à risque, qui a conduit au handicap de leur enfant.
“Ils étaient une dizaine autour de moi et une infirmière m’a quand même dit d’arrêter de faire l’enfant et qu’il fallait que je les laisse faire leur travail.”
Quelques mois avant sa grossesse, en juillet 2018, Andréa est diagnostiquée diabétique de type 1. Une maladie qui comporte de nombreux risques lors d’une grossesse. S’engage alors un suivi médical de la part du CHU. Les médecins estiment, en novembre 2018, qu’« il n’y a plus de contre-indication à démarrer une grossesse ». « Quand j’entame la rétrospective de cette période, j’ai l’impression d’avoir alors fait les frais d’une négligence et d’un laxisme total de la part du centre hospitalier. »
Andréa accouche le 29 juillet, en urgence, dans des conditions « chaotiques » et après s’être vu refuser une prise en charge une semaine plus tôt. « La douleur était tellement forte que je ne pouvais pas me retenir de crier. Ils étaient une dizaine autour de moi et une infirmière m’a quand même dit d’arrêter de faire l’enfant et qu’il fallait que je les laisse faire leur travail. » Éreintée par les évènements, Andréa va finalement avoir une anesthésie générale et une césarienne en urgence.
“Dans le pire des cas, votre enfant va mourir, dans le meilleur des cas, il aura des lésions cérébrales.”
À son réveil, une pédiatre et un gynécologue assènent un premier coup de poignard à la jeune maman : « Dans le pire des cas, votre enfant aura des lésions, dans le meilleur des cas, il vivra normalement. » Mais quelques minutes plus tard, une seconde pédiatre et un gynécologue annoncent un tout autre scénario : « Dans le pire des cas, votre enfant va mourir, dans le meilleur des cas, il aura des lésions cérébrales. » À la naissance, l’enfant ne respirait pas. Après l’avoir réanimé deux fois, puis mis sous hypothermie contrôlée pendant 3 jours, l’équipe demande même aux parents s’ils souhaitent poursuivre les soins, car le pronostic vital est engagé. « Je me demandais si j’étais encore en train de dormir, c’était un véritable cauchemar ».
Des dizaines d’erreurs médicales recensées par un rapport d’experts
Un cauchemar dont le couple n’arrive pas encore à émerger. Le petit Samuel est atteint de surdité profonde et d’un retard moteur. Pour les parents, cela ne fait aucun doute : le centre hospitalier est responsable du handicap de leur enfant. Sur le canapé de l’appartement familial, Andréa étale un dossier d’une quarantaine de pages. Un document réalisé après la saisi de la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) en février 2021 et après l’audition des équipes du CHU en mai 2021. Au total, ce rapport fait état de plusieurs dizaines d’erreurs médicales de leur part : « Absence de suivi diététique et de suivi de l’activité physique ; prescription inadaptée ; mauvais fonctionnement de la pompe à insuline ; absence d’hospitalisation alors que les glycémies étaient supérieures à 3 gr/litre ; mauvaise interprétation répétée des RCF ; non-déplacement du senior appelé au téléphone ; annulation à tort du déclenchement qui avait été prévu par un Assistant Chef de Clinique… » Le rapport rajoute que le CHU a appliqué un protocole contraire au recommandations de la HAS. Le protocole qu’ils ont transmis montre que le déclenchement, dans le cadre d’un diabète type 1, est au plus tard à 38+6 SA que le diabète soit équilibré ou non. « Ma grossesse, au regard de mes glycémies, de la macrosomie de Samuel et ses monitoring pathologiques dès la fin du mois de juin, était devenue une grossesse à très haut risque et n’a pas été prise en charge en tant que tel. Les experts disent que j’aurais dû être hospitalisée et surveillée dès le 24 juin et déclenchée au plus tard le 9 juillet. J’ai pourtant été déclenchée 20 jours plus tard. »
“Le but de notre démarche est d’être écouté, de reconnaître notre expérience, de faire le deuil d’une naissance qui n’a pas été normale…”
Comment, alors, mesurer le préjudice d’une famille brisée à la suite d’un accouchement mal pris en charge ? Une délicate question qui ne trouve pour le moment pas de réponse. Car, derrière les lignes de ce rapport, il y a des parents dans l’attente. Il y a aussi le petit Samuel, sourd, qui va bientôt souffler sa troisième bougie. Et puis il y a le silence, ce long silence pesant face à tous les éléments limpides de ce texte. « Le but de notre démarche est d’être écouté, de reconnaître notre expérience, de faire le deuil d’une naissance qui n’a pas été normale… On a été entendu, mais pas écouté. Est-ce que ce qui s’est passé aurait pu être évité ? Notre projet familial était d’avoir 2-3 enfants, maintenant, nous souhaitons nous consacrer totalement à Samuel. » Aujourd’hui, même si le petit garçon semble aller beaucoup mieux que ce qui avait redouté à sa naissance, son handicap entraîne – en plus d’un sentiment d’injustice – de nombreux frais médicaux. « Même si la sécurité sociale, la mutuelle et la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées nous aident beaucoup, il y a de nombreux déplacements à Lyon pour ses opérations et pour le suivi de son handicap.
Le rapport d’experts a été transmis aux avocats du CHU de Dijon début 2022. À ce jour, le couple n’a toujours pas reçu de réponse. Contacté par les équipes de Femmes en Bourgogne, le centre hospitalier dit avoir « confié le suivi de ce dossier à son conseil et son assureur. Sans alerte, nous n’avions pas connaissance de l’absence de réponse vis-à-vis de cette famille. Nous en sommes naturellement désolés et mettons tout en œuvre pour une information dans les meilleurs délais à leur intention. Nous nous engageons à nous assurer qu’une réponse soit apportée, et invitons la famille à se rapprocher du service juridique du CHU pour un contact direct sur cette situation. Le conseil du CHU va se mettre en relation avec son confrère, dans les plus brefs délais, afin de lui apporter une réponse et engager des pourparlers transactionnels provisionnels. »