Régisseur des Hospices de Beaune, elle va bientôt livrer son deuxième millésime au jugement des plus grands dégustateurs de la planète. Ludivine Griveau a un secret pour mener de front vie de famille et vie publique: elle fait le job, tout simplement. Star du vin, certes, mais pas en vain.
Le troisième week-end de novembre, la reine de Beaune c’est elle. Plus forte que les prestigieux présidents et présidentes de la Vente des vins, qui agissent le temps de quelques enchères, c’est sur elle que le monde du vin mise réellement. Régisseur des Hospices est un métier exposé qui ne laisse pas de place à l’erreur. Les plus fins palais de la planète attendent chaque année la traduction que l’hôpital de Beaune fera du millésime en cours. Surveillant de près cette expertise, le négoce se bat alors pour emporter les belles pièces. Les marchands du temple viticole savent que de cette réputation dépend une partie du marché. Bref, beaucoup de choses reposent sur les épaules d’une petite nana sympa et fraîche, souriante et déterminée.
« JE N’ÉTAIS PLUS UNE NANA! »
Il est là le secret de Ludivine Griveau. Ce qu’elle fait, elle le fait sans calcul. Elle a de ses parents et de Tournus, où elle a grandi, le goût des bonnes choses, des saveurs et du partage. C’est à Dijon, en s’impliquant avec succès (major de sa promo quand même) dans l’agronomie et l’agroalimentaire, qu’elle a conjugué le tout en prenant le chemin de l’œnologie. « J’avais toujours un avis sur tout » admet la curieuse qui, en faisant ses premières armes chez Antonin Rodet à Mercurey, avec Nadine Gublin, a la révélation : « Savoir faire le vin est un déclencheur, il me manquait l’aspect vignes. » Un nouveau CDD lui permet de se frotter à la réalité des vignerons dont elle encadre le cahier des charges. Elle a enfin « les mains dedans » ! Les 11 millésimes qu’elle assumera ensuite chez Corton André à Aloxe-Corton lui donneront une nouvelle épaisseur. Dans cette maison, elle apprendra beaucoup de la politique des approvisionnements, de la fragilité liée à un développement nécessaire de l’entreprise. Sous sa coupe, les volumes commercialisés passeront de 1600 à 5000 hectolitres. « Surtout, je travaillais main dans la main avec les vignerons partenaires » insiste Ludivine, soulignant avec un indéfectible bon sens qu’en Bourgogne, la solution est toujours dans le terroir. Corton André a aussi été pour elle le lien avec les Hospices. « Nous étions acheteurs et j’ai élevé des vins des Hospices », témoigne encore l’œnologue qui, très vite et au contact de Roland Masse, le régisseur d’alors, se fait une idée précise des potentialités des crus travaillés dans le domaine hospitalier. Et, en 2013, surprise ! « Roland m’annonce qu’il va reprendre sa retraite, une petite graine va dès lors s’installer dans ma tête. »
Une petite graine qui ne tardera pas à pousser. Ce poste de régisseur fait de son détenteur une star dans son métier, avec les avantages et les inconvénients qui vont avec. L’attribuer à une femme, plus encore à une jeune femme, était même de l’ordre de l’impensable. « La complexité parcellaire du domaine, les enjeux, la pression des critiques, le regard de la profession, tout peut impressionner », reconnaît Ludivine, « pourtant, une fois que j’étais dans la phase de recrutement, je n’ai même plus pensé que j’étais une nana ! »
« T’ES NULLE, T’AS RIEN À PERDRE! »
Tout ne fut pas si simple. En proie au doute et à l’hésitation, Ludivine s’est entendue dire de fidèles amies : « T’es nulle, tu n’as rien à perdre, ça ne te ressemble pas ! » Bien vu les copines ! Le premier janvier 2015, « une bonne date pour reprendre un cycle plein », la voilà placée au sommet de sa profession. Les réactions ne tardent pas à venir : « Certains estimaient que seule la compétence compte, d’autres, et pas forcément les plus anciens, craignaient que la tâche sera un peu trop compliquée pour une jeune femme ». Mais Ludivine a une arme fatale : « Je suis très protégée par mon aptitude à tourner la clé dès que j’ai fini mon job ! » Avec trois enfants à la maison, une équipe de trois permanents qui monte en puissance en période de vendanges et après, des voyages réguliers à honorer, Madame le régisseur (« régisseuse » c’est pas terrible), impose ses règles, sans forcer les choses. « J’ai aussi l’avantage d’être dans une optique de représentation et de pédagogie, mais pas de commercialisation comme avant, ce qui permet d’anticiper les déplacements à l’étranger, donc de mieux gérer ma vie familiale, en relation étroite avec mon mari qui est lui-même chef d’entreprise », apprécie une Ludivine épanouie qui sait se lever tôt et ne pas compter ses heures quand il le faut.
En cette période automnale, la tension est présente il est vrai. Le ballet de la vinification commence pour qu’en novembre, tout ce que la planète compte de spécialistes puisse défiler au gré des pipettes de la cuverie et apprécier sur le tonneau les crus des Hospices. « C’est un millésime haut en émotions, il a fallu éviter la fantaisie ; le travail technique aura été important pour, in fine, un très joli résultat », analyse Ludivine, confrontée au bout du compte à des volumes « habituels ». Elle a même une petite idée de ce que ce millésime pourra imprimer dans les esprits : « Depuis le début, j’ai le sentiment qu’il va s’en dégager de la douceur et de la volupté ! » Dans ce monde de brutes, de la douceur et de la volupté, on ne demande pas mieux.